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Type de textesource
TitreHistoire naturelle de Pline, traduite en françois [par Poinsinet de Sivry], avec le texte latin… accompagnée de notes… et d’observations sur les connoissances des anciens comparées avec les découvertes des modernes
AuteursPline l’Ancien
Poinsinet de Sivry, Louis
Date de rédaction
Date de publication originale1771:1782
Titre traduit
Auteurs de la traduction
Date de traduction
Date d'édition moderne ou de réédition
Editeur moderne
Date de reprint

(vol. 11), 285

Antiphile, dont on vante le petit garçon qui souffle sur le feu, et singuliérement la bouche de ce petit garçon, et le bel effet qui résulte de la flamme excitée, dont la splendeur éclaire et fait remarquer de riches appartements.

(vol. 11), p. 268-271

Calliclès [[3:Le Pere Hardouin est tenté de le prendre pour un statuaire du même nom, chez Pausanias, l. 6, Eliae. 2.]] peignit aussi de petits objets ; ainsi que Calade, dans ses tableaux comiques. Antiphile [[3:Il composoit avec une grande facilité, selon Quintilien, livre 12, chapitre 10, p. 894. Tzetzès en fait mention, Chil. 8, Hist. 197, v. 395.]] excella dans l’un et l’autre genre ; car il fit une Hésione [[3:Sœur de Priam.]] très célèbre ; Alexandre et Philippe avec une Minerve. Ces deux tableaux sont dans l’Ecole publique qui fait partie des portiques qu’Auguste fit construire sous le nom de sa sœur Octavie. On voit pareillement de lui dans le Portique de Philippe, un Bacchus, un Alexandre enfant, un Hippolyte effrayé à la vue du taureau envoyé contre lui par Neptune ; enfin dans le Portique de Pompée un Cadmus et une Europe : et le même peintre qui traita tous ces sujets nobles, fit un tableau représentant un grotesque auquel il donna le nom facétieux de Gryllus : d’où la dénomination de Gryllus devint celle de tout semblable grotesque en peinture. Antiphile étoit né en Egypte, et s’étoit formé sous Ctésidème.

(vol. 11), p. 255-256

Il peignit aussi Alexandre le Grand[[3:C’est de ce tableau qu’Apelle avoit coutume de dire qu’il y avoit deux Alexandre, l’un invincible, fils de Philippe ; l’autre inimitable, fils d’Apelle. Voyez Plutarque, Orat. 2, de fortunata Alex. p. 335.]], tenant un foudre, au temple de Diane d’Ephese ; ce chef-d’œuvre lui valut vingt talents attiques[[3:48000, monnoie de France.]] ; car lorsqu’il s’agit de l’estimer, on ne le prisa aucune somme déterminée : mais il fut réglé que ce bel ouvrage seroit couvert d’une coucher de pieces d’or, tant que l’aire du tableau en pourroit contenir. Au reste, le travail en est tel, que les doigts de la main foudroyante paroissent être avancés sur le devant de la toile, et que le foudre paroît sortir hors du tableau.

(vol. 11), p. 253-254

Apelle peignit aussi le roi Antigone, de maniere à cacher le côté du visage où il étoit borgne, et donna ainsi le premier exemple des figures de profil simple, et de la maniere de sauver toute vuide difforme, et de rendre la peinture seule responsable de ce qui manque au sujet, en ne montrant une personne que sous le côté favorable et exempt de défauts.

(vol. 11), p. 259

Ses inventions furent d’une grande utilité aux autres peintres dans leur art. Mais nul d’eux ne put imiter sa méthode d’enduire ses ouvrages les plus parfaits d’un atrament (ou vernis) si subtil, qu’en servant de lustre aux couleurs, par les reflets de lumière, et en les garantissant de la poussiere et des ordures, il étoit d’ailleurs parfaitement diaphane, et impossible à saisir à la vue, mais seulement au tact : invention d’un but vraiment ingénieux, dont l’effet est de rendre moins dures les masses de lumiere, et de les faire voir de près, comme on les verroit de loin par l’entremise d’une lame de pierre spéculaire ; comme aussi de jetter une ombre tendre, propre à brunir et à tempérer les couleurs trop florides.

(vol. 11), p. 253

Parmi les généraux qui accompagnerent Alexandre le Grand, il ne prit nullement auprès de Ptolémée, qui vint ensuite à regner en Egypte. La tempête l’ayant donc jetté sur cette côte, et contraint de relâcher à Alexandrie, d’autres peintres, jaloux de lui, subornerent un bouffon de la cour, pour lui jouer le tour de l’inviter faussement à souper de la part du roi. Ptolémée se courrouça, et montrant tous ses huissiers, somma Apelle de lui dire qui d’entre eux l’avait invité de sa part. L’artiste aussi-tôt prit au foyer un charbon éteint, et commença à dessiner sur le mur une effigie, dont le roi n’eut pas plutôt apperçu les premiers traits, qu’il reconnut et nomma le bouffon. 

(vol. 11), p. 257

Il peignit aussi un Héros nud, peinture où l’artiste provoqua la nature. Il la provoque encore (supposé que l’œuvre n’ait point péri), non plus au jugement des hommes, mais à celui des quadrupedes, dans son cheval de concours ; car s’apercevant que ses rivaux prévaloient sur lui par leurs brigues, il exposa leurs tableaux et le sien en présence de chevaux réels, lesquels hennirent[[3:Valere Maxime, liv. 8, chapitre 11 : Quo excusabilior est error equi qui visa picturâ equae, hinnitum edere coactus est.]] pour le seul cheval d’Apelle. Epreuve employée constamment depuis par les artistes, pour les tableaux où ils représentent des chevaux.

(vol. 11), p. 257-259

Il fit […] Diane se mêlant à la troupe dansante des jeunes filles qui célèbrent un sacrifice en son honneur ; tableau où il rend cette même description d’Homere[[3:Homere, Odyss. l. 6, v. 102 : Οἴη δ’Ἄρτεμις ἔστι, etc. Virgile, Enéid. l. 1, imite ainsi cette belle description :

Qualis in Eurotae ripis aut per juga Cynthi

Exercet Diana choros, quam mille secutae

Hinc atque hinc comitantur Oreades : illa pharetrum

Fert humero, gradiensque deas supereminet omnes:

Latoniae tacitum pertentant gaudia pectus.

J’ai essayé de traduire en vers françois ces passages si célebres d’Homere et de Virgile :

Quand, vers le bois sacré qu’Erymante révère,

Ou sur les bords de l’Eurotas,

Diane vient former quelque danse légere ;

Les Dryades en foule accompagnent ses pas.

Son front, toujours orné d’une grace nouvelle,

Mieux encore que son carquois,

La distingue au milieu des cent Nymphes des bois,

Et s’éleve au-dessus de leur troupe immortelle.

La déesse s’avance au son bruyant des cors :

Et ta joie, ô Latone ! en la voyant si belle,

Ouvre ton cœur superbe à de secrets transports.]] avec tant de génie, que le poète est vaincu par le peintre. 

(vol. 11), p. 251

Apelle étoit d’un commerce extrêmement gracieux : c’est pourquoi Alexandre le Grand l’avoit pris en grande amitié, et le roi venoit fréquemment dans l’attelier du peintre : ce prince avoit même, comme nous l’avons observé, interdit, par un edit public, à tout autre artiste de le peindre. Or un jour qu’Alexandre, étant dans l’attelier, raisonnoit à tort et à travers sur l’art de la peinture, Apelle, avec sa grace ordinaire, lui conseilla le silence, l’avertissant que les petits garçons qui broyoient, là auprès, des couleurs, rioient de l’entendre ainsi parler[[3:Selon Elien, Hist. var. liv. 2, chap. 2, ce fut Zeuxis qui dit cela, non à Alexandre, mais à Mégabyze. Selon Plutarque, liv. de discrim. adulat. et amici, ce qui Apelle qui dit cela, à ce même Mégabyze, personnage dont on va bientôt parler.]] : tant le mérite d’Apelle lui donnoit droit d’être familier avec un prince, d’ailleurs extrêmement colere. 

(vol. 11), p. 251-253

Alexandre une autre fois lui donna une marque à jamais mémorable de sa considération ; car lui ayant donné à peindre nue, comme un modele de beauté, Campaspe, celle de ses concubines qu’il chérissoit le plus, et s’étant apperçu que la beauté de Campaspe avoit touché le cœur d’Apelle, il lui céda cette maîtresse. Alexandre fut sans doute bien grand par son courage ; mais avouons qu’il fut plus grand encore par cette action généreuse, où il se montra maître de lui-même, et que nulle autre victoire ne lui mérita, à plus juste titre, le surnom de Grand : car ici c’est Alexandre vainqueur d’Alexandre, et qui abandonne non seulement une concubine, mais la maîtresse qu’il aime le mieux, sans même considérer si celle-ci perdra au change, en devenant la maîtresse d’un peintre après avoir été celle d’un roi. Il y en a qui pensent que la Vénus anadyomène, ou sortant de l’onde, et qu’on fait être d’Apelle, n’est autre que ce même tableau où Apelle avoit représenté Campaspe nue.

(vol. 11), p. 248-251

Apelle avoit pour coutume de ne passer aucun jour, tel affairé qu’il fût, sans s’exercer dans son art, en ébauchant quelque trait[[3:Ce qui a donné lieu au proverbe et précepte : Nulla dies abeat, quin linea ducta supersit. Voyez Erasme, Chil. I, Cent. 4, Adag. 1 : Nullam hodie lineam duxi.]] ; ce qui même a donné lieu à un proverbe. C’étoit aussi sa coutume d’exposer ses nouveaux ouvrages sur des tréteaux aux regards des passants, et de se tenir caché derriere le tableau, poru recueillir les diverses critiques, et observations qu’on faisoit ; démarche par laquelle il sembloit se reconnoître inférieur au vulgaire, en jugement sur son propre art. On dit donc qu’un jour il arriva qu’un cordonnier censura un de ses tableaux, en faisant voir qu’Apelle, dans la chaussure, avoit omis une des courroies intérieures du brodequin ; qu’Apelle réforma ce défaut le jour même. Le cordonnier, tout fier de voir qu’Apelle avoit eu égard à sa critique des courroies, essaya de railler aussi la jambe. L’artiste, indigné, se montra alors, en lui énonçant de ne point s’ériger en censeur au-dessus du soulier, et ce mot devint aussi un proverbe[[3:C’est le proverbe ne sutor ultrà crepidam.]].

, vol. 11, p. 247-249

Tout le monde a entendu parler de ce qui se passa entre Apelle et Protogene. Celui-ci demeuroit à Rhode. Apelle aborde dans cette isle, curieux de connoître ses ouvrages, dont il avoit entendu faire de grands récits. Il va droit à l’attelier. Protogene étoit absent ; une seule vieille étoit là, laissée à la garde d’une tableau immense dressé sur le chevalet, et sur lequel il n’y avoit encore rien de peint. Cette vieille dit à Apelle que Protogene étoit sorti. Qui lui dirai-je (ajouta-t-elle) avoir demandé à lui parler ? Celui-ci répondit, Apelle ; et en même tems saisissant un pinceau imbu de couleur, il conduisit sur le vaste champ de la toile un trait d’une étonnante ténuité. La vieille apprend à Protogene, de retour, ce qui s’étoit passé. On dit que cet artiste n’eut pas plutôt jetté les yeux sur ce linéament si subtil[[3:Ce qui fait dire à Stace, in Herc. Vind.

Linea quae veterem longè fateatur Apellem.]], qu’il s’écria qu’Apelle étoit venu, nul autre que lui n’étant capable de rien faire de si parfait. Prenant toutefois lui-même le pinceau, il conduisit sur ce linéament un trait d’une autre couleur, et si subtil, que la couleur de dessous le débordoit de part et d’autre. Ce qui étant fait, il sortit, commandant à la vieille, si l’étranger revenoit demander Protogene, de lui répondre, en lui montrant ce second trait : Voilà celui que vous cherchez. En effet, ce qu’il avoit prévu arriva. Apelle se présente une seconde fois ; il voit, non sans honte, qu’il a été suprassé : il reprend donc le pinceau, et dans l’interligne tracée par Protogene, il trace un troisième trait, qui tranche par le milieu les deux autres couleurs, ne laissant plus d’espace intermédiaire où tracer un quatrième linéament, si subtil qu’on le supposât. Cette fois-ci Protogene s’avoua vaincu, et sans autre délai, courut chercher son hôte au port. Ils convinrent de transmettre le tableau en cet état à la postérité ; monument d’admiration, non seulement pour le commun des hommes, mais même pour les artistes. J’ai oui dire que ce tableau avait été consumé dans le premier incendie[[3:Sous Auguste. Voyez Suétone, chap. 57.]] de la maison Césarienne au Palatium. C’étoit un spectacle vraiment singulier que ce vaste tableau, semblable à un grand vuide, au milieu de tant de chefs-d’œuvre, et qui, par cette raison, piquoit davantage la curiosité, et éclipsoit les ouvrages les plus accomplis, encore qu’il ne présentât que de simples linéaments si déliés, que la vue avoit peine à les saisir.

(vol. 11 ), p. 247

Mais un peintre qui surpassa tous ses devanciers, et à qui il étoit réservé d’éclipser encore tous ses rivaux futurs, c’est Apelle de Cos[[3:Strabon, liv. 14 ; Elien, Hist. Anim. liv. 4 ; et Tzetzès, Chil. 8, Hist. 197, le font toutefois Ephésien. Cela vient sans doute de ce qu’Apelle fut honoré du droit de bourgeoisie à Ephese.]], qui florissoit dans la cent douzieme Olympiade. Il ajouta, presqu’à lui tout seul, à l’art de la peinture, plus que tous les autres peintres ensemble, ayant même laissé des volumes qui contiennent tous les principes sur lesquels ce bel art est fondé. Le principal mérite d’appel (sic) est l’élégance. Il y avoit de son tems de très habiles peintres ; il étoit le premier à les admirer ; mais après leur avoir rendu justice sur leur mérite réel, il dit un jour qu’il leur manquoit un seul point seulement, la grace[[3:  Quintilien, liv. 12, chap. 10, p. 894 : ingenio, et gratiâ, quàm in se ipse maximè jactat, Apelles est praestantior.]] ; qu’ils avoient en partage toutes les autres perfections ; mais que celle-la lui avoit été réservée exclusivement à tout autre.

(vol. 11), p. 259

Il peignit aussi des effets qui excedent l’essor de la peinture, comme le tonnerre bruyant, l’éclair, et le carreau de foudre : noms qui sont restés à ces tableaux.

(vol. 11), p. 255

On vante aussi, pami ses tableaux, ceux qui représentent des personnes expirantes ; mais on ne sait, entre eux, auquel donner le prix sur les autres.

(vol. 11 ), p. 255

Il se loua encore une autre fois lui-même, relativement à un autre mérite. Il s’agissoit d’un tableau de Protogene, ouvrage d’un travail immense, et soigné à l’excès. Tout en se récriant sur les beautés sans nombre de cette peinture, il lui échappa de dire qu’il y voyoit bien que Protogene lui étoit inférieur, puisqu’en peignant, il ne savoit pas ôter la main de dessus le tableau[[3:Cicéron, in Orat. n° 73 : Apelles pictores quoque eos peccare dicebat, qui non sentirent quid esset satis.]] : mémorable leçon qui nous apprend que dans le plus beau travail, un soin trop recherché devient souvent un défaut.

(vol. 11), p. 203

Et certes cette grande diversité de couleurs aujourd’hui en vogue nous force à admirer la retenue des Anciens à cet égard. En effet, tous ces grands chefs-d’œuvres de l’art qui nous sont restés des Anciens, ne consistent qu’en  quatre[[3:Confirmé par Philostrate, l. 2, vie d’Apollonius de Tyane, chap. 10, page 48, et par Cicéron, in Bruto, n° 70 : Similis in pictura ratio est, in qua Zeuxim, et Polygnotum, et Timantem, et eorum qui  non sunt usi plus quam quatuor coloribus, formas, et liniamenta laudamus. At in Echione, Nicomacho, Protogene, Apelle, jam, perfacta sunt omnia, et nescio an reliquis omnibus idem eveniat. Nihil est enim  simul et inventum et perfectum.]] couleurs[[3:Note concernant la traduction d’une dissertation allemande de M. Winckelmann, intitulée Réflexions sur l’imitation des ouvrages des Grecs en fait de peinture et de sculpture.]] ;  le blanc alors réduit au seul melinum, l’ochre au seul attique, la terre rouge à la seule sinopis pontique ; et le noir au seul atrament ; et ces chefs-d’œuvre avoient pour auteurs un Apelle[[3:Dont nous parlerons au chapitre 10.]], un Ekhion[[3:[4] Cité par Cicéron, ibid.]], un Mélanthius[[3:Cité par Cicéron, ibid. et par Quintilien, liv. 12, chap. 10.]], un Nicomaque[[3:Cité par Cicéron, ibid. et par Vitruve, préface du liv. 3, p. 37.]], peintres célèbres entre tous autres, et dont chaque tableau étoit évalué le revenu d’une ville. Aujourd’hui que la pourpre couvre jusqu’à nos murailles, et que l’Inde nous fournit le limon coloré de ses fleuves, et les autres couleurs tirées du sang de ses dragons et de ses éléphants ; au milieu de toutes ces matieres colorantes, nous n’avons réellement plus aucune peinture. Ainsi nous étions plus riches du côté de l’art, tant que nous avons été moins riches en matieres. Et ce qui a amené ce grand détriment dans l’art de la peinture, c’est, comme je l’ai dit[[3:Pline a dit au commencement de ce livre : Honorem non nisi in pretio ducentes… imagines pecuniae, non suas relinquunt.]], qu’on attache aujourd’hui plus de prix aux matieres qu’à l’art.

(vol. 11), p. 255

Sa Vénus sortant de l’onde, fut dédiée par Auguste dans le temple de son père César[[3:Ce temple étoit dans la place du Marché, au huitième quartier de Rome.]]. Cette Vénus d’Apelle est celle que les Grecs nomment Anadyomene, comme on l’a vu plus haut ; on fit à sa louange des vers grecs[[3:Voyez l’Anthologie grecque, liv. 4, chap. 12. Mais je préviens le lecteur qu’il n’y touvera pas ce que promet Pline ; car aucune de ces epigrammes qui nous sont parvenues sur Vénus sortant de l’onde, ne sont infiniment heureuses. Nulle ne peut entrer en comparaison avec ces vers charmants de M. de Voltaire sur la Vénus de Praxitele ; c’est Vénus qui parle :

Je me suis fait voir toute nue

Au dieu Mars, au berger Paris,

Même à Vulcain, et j’en rougis ;

Mais Praxitele, où m’a-t-il vue ?]] 

tellement ingénieux, qu’ils surpassent l’objet loué, en mérite ; mais au moins contribueront-ils à l’immortaliser. La partie inférieure de cette Vénus ayant été endommagée, il ne se trouva aucun artiste capable de la rétablir ; ensorte que cette injure même du tems ajouta encore à la gloire d’Apelle, jusqu’au moment où la vétusté et la carie, ayant enfin attaqué la totalité du tableau, Néron lui en substitua un autre de la façon de Dorothée, dans les premieres années de son avénement à l’Empire.

(vol. 11), p. 255

Apelle avoit commencé à Cos une autre Vénus, qui devoit surpassé le mérite de la premiere : la mort lui enleva la gloire de l’achever[[3:[1] Cicéron, liv. 3, Offic. n°10 : Ut nemo pictor esset inventus, qui Veneris eam partem, quàm Apelles inchoatam reliquisset, absolveret : oris enim pulchritudo reliqui corporis imitandi spem auferebat. Et l. 1, Ep. 9, Famil. Ut Apelles Veneris caput, et summa pectoris politissima arte perfecit, reliquam partem corporis inchoatam reliquit : sic quidam homines in capite meo solum elaborarunt, etc.]] ; et il ne s’est trouvé personne en état de continuer les traits d’attente, et de remplir l’objet indiqué.

(vol. 1), p. 43, 45

Quant à moi, je me contente du titre tout simple que j’ai donné à mon ouvrage ; et pour que vous ne pensiez pas que je sois en tout le détracteur des Grecs, je veux bien qu’on sache que j’ai suivi à cet égard l’exemple de ces grands maîtres en l’art de sculpter et de peindre, qui sur les ouvrages les plus achevés, et sur lesquels notre admiration ne peut s’assouvir, ne mettoient qu’une inscription d’attente en cette sorte : Apelles faisoit ; Polyclette faisoit, employant ainsi l’imparfait du verbe faire comme à l’égard d’un ouvrage réellement imparfait et seulement commencé. Par cette adresse l’artiste se ménageoit une excuse à tout événement contre les diverses critiques qu’on pouvoit faire de ses productions, comme se promettant d’en corriger les défauts s’il vivoit assez de tems pour cet effet. Modestie louable dans ces grands hommes, de présenter ainsi à la postérité leurs œuvres à titre d’ébauches, auxquelles ils semblent convenir que la mort les a depuis empêchés de donner le dernier point de perfection. Je ne connois guere que trois chefs-d’œuvres, dont l’inscription porte que l’ouvrage est fait et parfait, ce qu’indiquent ces paroles un tel[[3:[1] Le mot grec dont il est prouvé que se servirent ces artistes ne signifie point fit, mais peignit au feu. Or qu’un peintre ait mis pour inscription à son tableau un tel peignit au feu, cela ne tire certainement point à conséquence, comme s’il s’étoit servi de la formule un tel fit ou acheva tel ouvrage ; car le verbe faire dans l’inscription un tel fit, se prend dans toute l’énergie du mot, tellement qu’on ne peut se dispenser de faire attention que le peintre a employé le verbe faire au tems que nous nommons le passé ou le parfait, comme pour indiquer que l’ouvrage en question est achevé, et que l’auteur n’a plus rien à ajouter à sa perfection ; mais attendu que le verbe peindre est d’une force indéfinie, et n’emporte point comme le verbe faire l’idée d’un acte achevé et parfait, il résulte qu’il n’y a aucune présomption dans cette inscription. Un tel peignit au feu le tableau que tu vois. Toute l’énergie de cette phrase portant sur la circonstance de peindre au feu et non sur la perfection de l’ouvrage. J’en conclus que Pline n’est point l’auteur de l’épître à Titus, puisqu’on ne sauroit raisonnablement le soupçonner d’être l’auteur d’une telle bévue, et de s’être aussi mal compris lui-même. Au reste, des trois chefs-d’œuvres dont il est annoncé ici que Pline parlera dans la suite, et qui portoient cette inscription *** (inussit), deux étoient de Nicias, et la troisième de Lysippe, ainsi que nous l’apprend Pline lui-même, livre 35, ch. 4 et ch. 11.]] fit. J’en rendrai compte en leur lieu. Une pareille inscription annonçoit de la part du peintre une sécurité intrépide sur la bonté de l’œuvre : aussi les trois tableaux dont je parle ont-ils excité beaucoup d’envie.

, p. 261

Il peignit aussi un Malade, peinture qu’on ne cessera jamais de louer. Il excelloit tellement à traiter cette sorte de sujet, que le roi Attale donna, dit-on, cent talents, d’un seul tableau de ce genre, de la façon d’Aristide.

(vol. 11), p. 227-228

Enfin n’est-il pas également constant que le tableau[[3:On a déjà parlé de ce tableau représentant le combat où les Magnetes, peuples d’Asie, furent mis en pieces, au livre 7, chap. 38. Pline y parle aussi du roi Candaule et des artistes Bularque, Protogene, Praxitele, Phidias, Timomaque et Mentor.]] du peintre Bularque représentant le combat des Magnetes, plut à Candaule, surnommé Myrsyle, roi de Lydie, et le dernier des Héraclides ; et que, pour avoir ce tableau, il fut donné son pesant d’or : tant la peinture étoit déjà en crédit.

(vol. 11), p. 297-305

Cet art doit sa premiere invention à Dibutade, potier de terre sicyonien établi à Corinthe ; graces toutefois à sa fille[[3:[1] Je trouve quatre vers mis au bas d’un portrait gravé, lesquels prouvent que leur auteur, homme ou femme, a pris le nom propre Dibutade pour la fille de l’artiste de ce nom. Ces vers sont d’ailleurs assez bien tournés, et dictés par le sentiment. Les voici :
Dibutade peignit ; son maître fut l’Amour,
Et son amant fut son modele :
L’amitié triomphe à son tour ;
Elle a fait ce portrait fidele.]] : car celle-ci, étant amoureuse d’un jeune homme qui partoit pour un long voyage, traça le pourtour de l’ombre profil de son amant sur la muraille, à la lueur d’une lampe. Son pere, sur ce même dessein, plaqua de l’argile, exécutant cette image en relief, sur le dessein tracé ; puis mettant ensuite cette argille à durcir au four avec ses autres poteries, il eut ainsi le premier type en terre cuite. On veut que ce premier type ait été gardé à Corinthe dans le temple des Nymphes, jusqu’au tems où Mummius prit et démolit cette ville.

(XI), p. 299, note 1

Dibutade peignit ; son maître fut l’Amour,

Et son amant fut son modèle ;

L’amitié triomphe à son tour ;

Elle a fait ce portrait fidèle.

Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)

(vol. 11), p. 269

Denys, au contraire, peignoit des hommes, et rien de plus : c’est pourquoi on le nommoit l’Anthropographe.

(vol. 11), p. 293

On a vu aussi des femmes se distinguer dans la peinture ; car Timarete, fille de Micon[[3:Peintre athénien dont on a parlé ci-dessus.]], peignit Diane dans un tableau qui de voit au temple d’Ephese, et dont la peinture est fort ancienne. Irene, fille et éleve du peintre Cratinus[[3:Pausanias nous montre un statuaire de ce nom, et qui étoit spartiate, Eliac. liv. 6, p. 360.]], peignit la jeune fille qu’on voit à Eleusis ; la Nymphe Calypso ; un vieillard, et l’enchanteur Théodore : Alcisthene le danseur : Aristarete, fille et éleve de Néarque, un Esculape. Lala de Cyzique resta toujours fille. Elle florissoit du tems que Varron étoit jeune. Elle se distingua à Rome, tant au pinceau qu’au cestre. Elle employoit ce dernier à peindre sur l’ivoire[[3:A l’encaustique, comme le verra plus loin, section suivante.]]. Elle représentoit principalement des femmes. Elle fit à Naples un grand tableau représentant une vieille. Elle fit aussi, au miroir, son propre autoportrait. Aucune autre main que la sienne ne fut douée d’une aussi grande promptitude en peinture ; et son talent étoit tel que ses ouvrages passoient de beaucoup le prix des tableaux de Sopolis et de Denys ses contemporains, qui ont rempli les galeries de portraits de leur façon. On compte aussi parmi les peintres une Olympias dont, au reste, on ne sait autre chose, sinon qu’Autobulus fut son éleve.

(vol. 11 ), p. 271-273

Mais, sans faire tort à Marcus Ludius, c’est ici le lieu de parler d’Auguste, qui le premier a enrichi les murailles des diverses salles et appartements de peintures infiniment agréables et variées, lesquelles représentent des métairies, des portiques, des boulingrins, des bois, des bosquets, des viviers, des euripes, des fleuves, des rivages au gré de toutes les fantaisies, embellis de promenades de toutes sortes ; ou d’une vue de riviere, avec des bateaux qui remontent, qui descendent, ou qui traversent des passagers ; ou sur le grand chemin, des personnes de tout état qui s’en vont à la campagne sur des ânes ou dans des voitures : ici c’est une pêche ; ailleurs des oiseleurs dressent des pieges aux oiseaux : plus loin c’est une chasse courante, ou bien une vendange. Parmi les peintures remarquables de ce genre, il n’est point de plus célebres que celles qu’on nomme les Marachers. On voit ces gens, à l’entrée d’un village, faire prix avec des femmes pour les porter sur leurs épaules à travers la mare : on en voit d’autres en train de porter des femmes, prêts à tomber avec elles, et chancelants sous le faix. On remarque nombre de peintures également ingénieuses, et d’un sujet amusant, parmi ces embellissements dus à la magnificence d’Auguste. Et quant aux murailles extérieures, lesquelles sont exposées aux injures du tems, c’est encore Auguste qui imagina d’y faire représenter des villes maritimes ; ce qui forme le coup-d’œil le plus agréable, et la dépense de ces peintures de marine est très peu considérable.

(vol. 11), p. 55-57

Myron[[3:Myron étoit d’Eleutheres, ville de Beotie ; mais il fut reçu citoyen d’Athenes : aussi est-il toujours qualifié d’Athénien par Pausanias, et notamment liv. 6, Eliac. p. 345.]], cet autre éleve d’Agelade, naquit à Eleutheres. Il s’est sur-tout rendu célebre par ses statues de bœufs, taureaux, vaches et genisses[[3:[2] Témoin le chef-d’œuvre dont Anacréon a dit : Βουκόλε, τὰν αγέλαν, etc.

Berger mene tes troupeaux
Paître sur d’autres côteaux ;
De crainte qu’on ne t’accuse
De vouloir, dans le vallon,
Attirer par quelque ruse
La genisse de Myron.
Et celle encore dont il a dit : Βοίδιον οὐ, etc.

Bucula non fusa est, sed in aes induruit annis,
Quam manibus falsò vindicat ipse Myron.

Ovide a dit aussi d’une vache de Myron, liv. 1, de Ponto, Elég. 1, v. 34 : Ut simillis verae vacca Myronis opus. On trouve jusqu’à quarante éloges de cette vache de Myron dans l’Anthologie grecque, liv. 4, chap. 7. On en trouve jusqu’à sept en vers latins chez le seul Ausone. Ménage, parmi nous, en a fait sur ce même sujet un distique grec auquel on donne la pomme sur tous ces éloges de l’Antiquité, et que voici : 

Τὴν χαλκῆν Ἦρω ποτὲ ἰδῶσα Μὐρωνος,

Ζηλοτύπησεν, ἰδεῖν Ἰναχίδ\'οἰομένη.

Je traduis ainsi : Aenea Junoni cum visa est Vacca Myronis,
Exarsit, clamans : En Jovis Inachida.

Dans ce distique, ce sont les dieux mêmes, et non plus les hommes ou les animaux qui sont trompés à la vache de Myron ; idée des plus ingénieuses et des plus nobles.]], qui ont été loués dans des vers dignes eux-mêmes des plus grands éloges ; ensorte que c’est quelquefois le génie d’autrui, plutôt que le sien propre, qui rend Myron recommandable. […] Cet artiste passe pour avoir le premier multiplié la variété dans les ouvrages de sculpture ; plus varié, en effet, dans son art, que Polyclete, et d’une symmétrie plus soignée.

(vol. 11), p. 289

Néalcès[[3:Peintre et ami d’Aratus. Voyez Plutarque, vie d’Aratus, p. 1032.]] fit une Vénus. C’étoit un peintre ingénieux et adroit dans son art, témoin ce qu’il fit en représentant le combat naval des Perses et des Egyptiens, qui se donne sur le Nil ; et comme l’eau de ce fleuve ressemble à l’eau de la mer, le peintre, pour ramener l’idée du spectateur au Nil, les couleurs à cet égard étant en défaut, imagina de représenter un âne qui boit sur la rive, et un crocodile en embuscade dans l’eau, et prêt à le surprendre.

, vol. 11, p. 179

La scene fournit aussi un grand sujet d’admirer la magie de ce bel art, aux jeux publics[[3:Valere Maxime, liv. 2, ch. 4: Claudius Pulcher scenam varietate colorum adumbravit, vacuis ante picturâ tabulis extentam.]] donnés par Claudius Pulcher ; car une des toiles du théatre représentoit une maison avec son toit, et cette imitation étoit si parfaite et si naturelle, que les corbeaux venoient s’abattre contre cette partie de la toile, se figurant y voir un véritable toit de tuiles.

(vol. 11), p. 173

Quant à l’origine de l’art de la peinture, on ne trouve là-dessus qu’incertitudes et contradictions, qu’il n’entre pas dans mon plan de discuter. Les Egyptiens soutiennent qu’elle fut inventée chez eux six mille ans avant que les Grecs en eûssent la moindre connoissance. On sent la vanité et le peu de fondement de cette jactance egyptienne. A l’égard des Grecs, ils prétendent, les uns, qu’elle fut inventée à Sycione ; les autres, à Corinthe : mais tous tombent d’accord que ce qui lui donna naissance fut d’abord un simple trait calqué fidelement sur l’ombre d’un homme ; et qu’ainsi la premiere peinture fut monogramme, c’est-à-dire à un seul trait sans couleur : d’où il suit que la peinture monochrommate, ou à une seule couleur, est postérieure à celle-là, et ne peut lui être comparée pour le mérite de l’invention, Ces deux sortes de peintures subsistent encore aujourd’hui, précisément telles qu’elles furent inventées. La peinture linéale ou le dessein au simple trait creusé, eut pour inventeur, soit Philoclès Egyptien, soit Cléanthès Corinthien. Mais ce qu’il y a de reconnu et de certain c’est que les premiers artistes qui exercerent cet art, furent Ardicès de Corinthe, et Téléphanès de Sicyone ; ensorte toutefois qu’ils ne s’en tenoient pas au simple trait terminal, et jettoient plusieurs autres traits dans l’intérieur du dessein : mais le tout avec si peu d’art, qu’ils étoient obligés d’écrire à côté de chaque portrait le nom de la personne. Le premier qui fit des desseins colorés, fut Cléophante de Corinthe, qui imagina à cet effet de faire des crayons d’une pâte faite avec des tessons de terres de couleur, broyés et réduits en poudre.

(vol. 11 ), p. 245

Il attira une telle considération sur son art, qu’il fit passer en usage que les enfants de condition libre, apprendroient, avant tout, le dessein sur le buis ; ensorte que le dessein devint le premier des rudiments des arts libéraux. Certes cet art ne cessa jamais d’être en honneur, ayant toujours été exercé, dans le principe, par des hommes libres, et même, par la suite, par des personnes nobles : et depuis l’origine de l’art jusqu’à nos jours, il a constamment été interdit de l’enseigner aux esclaves[[3:Voyez Gothofredus, in Cod. Theodos. liv. 13, tit. 4, sect. 4.]] : aussi ne trouve-ton aucune mention de tableau ni d’ouvrage ciselé qui aient été composés par des mains serviles.

(vol. 11), p. 239

Parrhasius d’Ephese […] remporta la palme des traits terminants, qui sont le grand secret, et le non plus ultrà de la finesse de l’art. En effet, peindre les corps, et bien saisir les milieux, c’est déjà un grand talent, mais une gloire commune ; au lieu que bien rendre les extrémités des corps, et terminer avec art les formes mourantes, c’est un mérite des plus rares, et auquel bien peu d’artistes peuvent atteindre ; car toute extrémité doit s’arrondir, s’embrasser, pour ainsi dire, elle-même, et finir de maniere à promettre quelque chose par-delà elle, montrant, en quelque sorte, ce qu’elle cache. Cette gloire a été accordée à Parrhasius par Antigone et Xénocrate, qui ont écrit sur la peinture ; et ce n’est pas un simple aveu de leur part ; car ils ne parlent qu’avec admiration de ce talent de Parrhasius, et de plusieurs autres mérites de l’art, qu’ils reconnoissoient en lui. Ses tablettes et porte-feuilles de desseins existent encore aujourd’hui, desquelles plusieurs artistes passent pour tirer souvent parti. Parrhasius, au reste, semble inférieur à lui-même dans les milieux.

(vol. 11), p. 241

N’oublions pas deux de ses chef-d’œuvre les plus célebres, son Hoplititês, ou coureur armé, représenté courant dans la lice, et tout en sueur qu’on croit voir découler ; et son autre Hoplititês, ou coureur armé, déposant ses armes à la fin de la course, et qu’on croit réellement voir haletant.

(vol. 11), p. 241-243

Artiste d’une fécondité merveilleuse, mais qui se prévalut plus insolemment et plus arrogamment qu’aucun autre de sa célébrité, soit en prenant le surnom d’Abrodiaetus[[3:Athénée, liv. 12, p. 543, cite ces deux vers que Parrhasius avoit coutume d’inscrire au bas de des tableaux :
Ἀβροδίαιτος ἀνὴρ, etc.
Haec pinxit mollis, virtutis cultor, et idem
Clara Parrhasius ex Epheso patria.]], ou homme vivant dans les délices, soit en se qualifiant, en d’autres termes[[3:Rapportés également par Athénée, ibidem :
Φημὶ γὰρ ἤδη
Τέχνης, etc.
Jam dicto profecto
Hujus adest artis meta reperta mihi.
Hoc nostrae valuere manus : praestantia fingunt :
Inculpata tamen nulla reperta viris.]], de prince de la peinture, et de consommateur de son art ; mais principalement en se donnant pour descendant d’Apollon, et pour avoir peint l’Hercule de Lindos d’après Hercule lui-même, qui lui avoit souvent, disoit-il, apparu en songe. De plus[[3:Ceci est également rapporté par Athénée, ibid.]], ayant fait un Ajax disputant contre Ulysse pour l’armure d’Achille, et ce tableau ayant été, d’une voix unanime, déclaré inférieur à celui de Timanthe, il s’indigna de ce jugement, et dit qu’Ajax étoit sans doute à plaindre d’être une seconde fois vaincu par un rival indigne de lui. Parrhasius a fait aussi de petits tableaux lascifs ; c’étoit comme son délassement.

(vol. 11), p. 277-279

Pausias composa aussi de grands tableaux ; témoin le sacrifice de bœufs qui se voyoit aux portiques de Pompée. Il fut l’inventeur d’une maniere souvent imitée depuis, sans pouvoir être égalée. Car, pour exprimer la longueur du bœuf, il ne le présenta pas de côté, mais de face, et n’en réussit pas moins à l’exprimer. De plus, au lieu que tout artiste, pour exprimer un objet éminent, présente une masse de blanc environnée de masses d’ombres, lui, au contraire, fit le bœuf tout noir, plaçant ainsi l’objet dans le corps de couleur réservé ordinairement pour l’ombre. Effort de l’art bien étonnant, sans doute, d’avoir osé, de direction, et non de biais, sur une superficie plane, représenter un corps saillant, et d’avoir réussi à détailler et développer en apparence, des proportions réellement repliées et comme écrasée sur elles-mêmes.

(vol. 11 ), p. 277

Dans sa jeunesse, il fut épris de Glycere, qui étoit de sa ville[[3:De Sicyone. Pour la Glycere de Praxitele, c’étoit une courtisanne de Boeotie, selon Strabon, l. 9, p. 110.]], et qui inventa les couronnes ; et en s’efforçant de l’imiter, il imita une incroyable quantité de fleurs, et fit faire un grand pas en cette partie à l’art de la peinture. Il finit par peindre Glycere assise, une couronne de fleurs sur la tête. C’est une de ses plus nobles productions. On nomme ce tableau la porte-couronne, ou la faiseuse de couronnes, par allusion au talent de Glycere, qui gagnoit sa vie au métier de bouquetiere. Lucius Lucullus acheta la simple copie de ce tableau deux talents[[3:Quatre mille livres, monnoie de France.]], aux fêtes dionysiales d’Athenes.

(vol. 11), p. 51

Phidias, outre le Jupiter Olympien[[3:Sur ce Jupiter de Phidias, voyez l’Anthologie grecque, liv. 4, chap. 6.]], ouvrage sans pair, fit également en ivoire une Minerve debout, qui est dans le Parthenon[[3:C’est-à-dire le temple de la Vierge, par allusion à Minerve. Ce temple étoit dans la citadelle. Le simulacre de la déesse étoit debout ; elle étoit vêtue d’une stole. Voyez Pausanias, Attic. liv. 1, p. 2 et 43.]] d’Athene.

(vol. 11), p. 277

Car c’est ici le lieu de parler des tableaux de petit volume qui ont donné de la célébrité à leurs auteurs. De ce nombre a été Pireïcus[[3:Dont Properce a dit, livre 3, Eleg. 8 : Pireïcus parva vindicatar te locum.]]. Il n’est, pour la perfection de l’art, inférieur à personne ; mais, dira-t-on, ce même art déroge entre ses mains par le choix des sujets. Pour moi, j’en doute ; car il ne peignit que des choses viles, à la vérité ; mais ces choses viles l’immortaliserent. Pyreïcus ne peignit donc que des boutiques de barbiers et de cordonniers, que des ânes, des légumes et autres objets du plus bas étage ; ce qui lui fit donner le nom de Rhyparographe, ou Peintre des choses de rebut, mais qu’il a su traiter d’une maniere supérieure et pleine de délices. Aussi ses tableaux se vendent-ils plus chers que ceux de plusieurs peintres qui n’ont traité que des sujets du grand ordre.

(vol. 11), p. 383

Nous avons parlé de Praxitele[[3:Au liv. 34.]] en traitant des statuaires en airain : or cet artiste étoit de plus sculpteur en marbre ; et dans ses ouvrages en ce genre il ne s’est pas contenté de surpasser ses rivaux, il s’est surpassé lui-même. Les simulacres de sa façon se voient à Athenes dans le Céramique ; mais, avant tout, la Vénus[[3:Voyez, sur ce mémorable chef-d’œuvre, l’Anthologie, liv. 4, chapitre 12.]], dirons-nous de Praxitele, ou plutôt la Vénus du monde entier ; car est-il pays au monde d’où on ne soit parti à la voile pour venir à Cnide admirer cette Vénus ? Il en avoit sculpté deux, et les mettoit en vente l’une avec l’autre ; mais il avoit voilé l’une, et ce fut celle que choisirent ceux de Cos, quoiqu’ils pussent avoir l’autre au même prix : mais peu connoisseurs en cet art, ils se figurerent que celle qu’ils voyoient étoit sévere et pudique autprès de l’autre qu’ils ne voyoient pas. La Vénus négligée par ceux de Cos ne le fut pas par ceux de Cnide, qui l’acheterent. Cette Vénus cnidienne est d’un prix infiniment supérieur à l’autre. C’est ce que comprit le roi Nicomede[[3:Roi de Bithinie, contemporain de Mithridate.]], qui depuis voulut acheter des Cnidiens ce chef-d’œuvre, à condition de payer toute leur dette nationale, qui étoit immense. Les Cnidiens aimerent mieux endurer les dernieres extrémités, que d’en passer par ce traité : et ce ne fut pas sans raison ; car toute la célébrité de leur ville est uniquement due à cet ouvrage de Praxitele. Ce temple est une simple colonnade circulaire, sans murailles, ouvert de toutes parts, il laisse voir l’effigie de la Déesse, de quelque côté qu’on la regarde : et cette magie de l’art passe pour un prodige surnaturel, comme si Vénus elle même se prêtoit à réaliser cette illusion. Mais où est le vrai prodige, c’est que de quelque côté, et sous quelque biais qu’on la contemple, cette statue est réellement un chef-d’œuvre admirable en tous sens. On raconte que quelqu’un en devint amoureux[[3:Voyez Valere Maxime, l. 8, chap. 11 ; Posidippe l’historien, chez Clément d’Alexandrie, Protrept. page 38.]], se cacha dans le temple à la faveur de la nuit, et vint à bout de remplir son désir. Une tache qui se voit à la statue, est regardée comme un indice du fait. Cnide possede d’autres statues de marbre de la main d’artistes illustres ; témoin le Bacchus de Bryaxis[[3:Statuaire dont fait mention Pausanias, in Attic. p. 73 et ailleurs.]] ; un autre Bacchus et une Minerve de Scopas[[3:Statuaire dont fait mention Pausanias, ibid.]]. Aussi ce qui est propre à nous faire apprécier au juste le mérite de la Vénus de Cnide, c’est cette considération, qu’au milieu de plusieurs chefs-d’œuvre, on ne parle uniquement que d’elle.

, vol. 11, p. 263-265

Ce fut par rapport à cet Ialysus que le roi Demetrius[[3:Demetrius Poliorcete.]], qui craignoit d’incendier ce tableau en mettant le feu à la ville de Rhode qu’il assiégeoit, s’abstint de faire mettre le feu à cette ville ; ensorte que pour ménager une peinture, il se retrancha une victoire. Protogene étoit alors dans son jardin du fauxbourg de Rhode, c’est-à-dire au milieu du camp des assiégeants ; et les combats qui se donnoient ne firent aucune diversion à ses travaux, jusqu’à ce qu’envoyé chercher par le roi, et interrogé par lui d’où lui venoit cette sécurité de travailler ainsi hors des murs, il lui répondit qu’il savoit bien[[3:Confirmé par Plutarque, in Arat. p. 1032.]] que Demetrius faisoit la guerre aux Rhodiens, et non pas aux arts. Ce prince disposa donc un corps-de-garde et des sentinelles autour de ce jardin pour servir de sauve-garde à Protogene, ne se contentant pas d’épargner ses jours, mais prenant encore à cœur d’assurer, contre tout danger, la vie et les travaux d’un si grand artiste. Il l’envoyoit donc souvent chercher ; et même, pour lui causer une moindre perte de tems, il se desista de cette habitude, et s’accoutuma à le venir voir, et à quitter ainsi, à son égard, le personnage d’un assiégeant, pour prendre celui d’un amateur et d’un hôte civil. Demetrius, dis-je, perdant de vue son grand objet du siege de Rhode, interrompit les attaques et les assauts de la place, pour venir contempler Protogene le pinceau à la main. Aussi un tableau qu’il fit dans cette époque jouit-il de la plus haute réputation, son auteur l’ayant composé sous le glaive. Je veux parler de ce satyre dépérissant d’amour, et à qui, comme pour achever de braver les dangers du siege de Rhodes, il fait tenir deux flûtes à la main.

(vol. 11), p. 261-263

Parmi toutes ses compositions, on donne la palme à l’Ialisus[[3:Dont font mention Strabon, liv. 14, p. 652, et Cicéron, Ep. 21.]], qui est à Rome, dédié au temple de la Paix. Tant qu’il demeura à le composer, on assure qu’il ne vécut que de lupins (ou pois sauvages) détrempés, parceque ce légume a la propriété de statisfaire également la faim et la soif, et que Protogene ne vouloit point d’ailleurs, en cette circonstance, prendre aucune nourriture propre à faire diversion à l’objet dont il s’occupoit, par une sensation trop flatteuse. Il eut la précaution de peindre ce tableau à quatre couches de couleurs ; car il voulut en sa faveur prévenir l’injure des tems, et faire survivre la peinture subsidiaire à celle que leur injure auroit enlevée. On y voit un chien qui passe pour une merveille, précisément par la raison que ce qu’il y a de merveilleux en lui est autant l’ouvrage du hasard, que celui du peintre. Protogene étoit satisfait de tout le reste du tableau ; mais à l’égard de l’écume du chien haletant, il n’étoit point content de lui-même. Il se déplaisoit dans son art, désespéroit de l’amener au point de subtilité nécessaire à rendre cet effet, je veux dire à le rendre semblable à la nature, à peindre une véritable écume, qui sortît réellement de la gueule du chien, et qui n’eût pas l’air d’être appliquée là comme une simple couche de peinture. En un  mot, il vouloit la vérité même, et non le simple vraisemblable. Souvent il avoit passé l’éponge sur cette partie, souvent il avoit changé de pinceau, et toujours avec aussi peu de satisfaction, à son propre jugement. A la fin il se dépita contre l’art, et jetta de courroux son pinceau sur l’endroit même (comme l’on a été à portée d’en juger depuis) où son talent s’étoit trouvé en défaut. Le pinceau rétablit accidentellement les couleurs cur cet endroit, de la maniere dont le souhaitoit le peintre ; et le hasard devint nature. On prétend qu’à l’exemple de Protogene, le peintre Nealce[[3:Valere Maxime, liv. 8, chapitre 11, p. 401 : Praecipuae artis pictor equi navibus spumas adjicere cupiens, tantus artifex in tam parvula materia multum ac diu frustra tenebatur. Indignatione deinde accensus, spongiam omnibus imbutam coloribus forte juxta se positam apprehendit, et veluti corrupturus opus suum, tabulae illisit : Quam fortuna ad ipsas equi nares directam, desiderium pictoris coegit explere. Itaque quod adumbrare non valuit, casus imitatus est.]] parvient pareillement, en jettant contre la toile une éponge, à peindre l’écume d’un cheval retenu tout-à-coup par l’écuyer, au signal qu’il lui donne en le sifflant. Mais Protogene ne dut un tel effet qu’à la fortune, et son chien fut l’ouvrage du peintre, et d’un hasard imprévu.

, vol. 11, p. 261

En ce même tems, comme on l’a déjà vu[[3:Dans ce même chapitre.]], florissoit Protogene. Il étoit de la ville de Caunus[[3:Ville de Carie. C’est aussi à Caunus que Plutarque le fait naître. Suidas écrit que Protogene étoit de Xanthus, petit bourg voisin de Caunus.]], sujette des Rhodiens. Il fut d’abord extrêmement pauvre ; sa grande application à perfectionner ses ouvrages[[3:Protogene étoit recommandable par le fini et le soigné de ses ouvrages ; Apelle par la grace. Quintilien, liv. 12, p. 892.]] a un peu nui à leur nombre. On ne sait pas certainement de qui il fut l’éleve. Quelques-uns prétendent qu’il peignit des vaisseaux jusqu’à l’âge de cinquante ans. Ils en apportent en preuve que lorsque, dans le quartier d’Athenes le plus fréquenté, dans le temple même d’Athenes, il peignoit le Propyleon, ou portique de ce temple, et qu’il y représentoit ces fameux vaisseaux, le Paralus et l’Hammoniade, que quelques-uns nomment aussi la Nausicaa, il y ajouta de petits vaisseaux longs parmi ces accompagnements plus ou moins étrangers au sujet, appellés par les peintres parerga, ou hors-d’œuvres ; voulant faire connoître que parti de si humbles commencements, il s’étoit élevé au comble de l’art, et à la citadelle la plus propre à éterniser les talents.

, vol. 11, p. 265

Aussi un tableau qu’il fit dans cette époque jouit-il de la plus haute réputation, son auteur l’ayant composé sous le glaive. Je veux parler de ce satyre dépérissant d’amour, et à qui, comme pour achever de braver les dangers du siege de Rhodes, il fait tenir deux flûtes à la main.

(vol. 11), p. 291-293

Mais de tous les faits curieux que nous avons eu l’occasion d’observer, relativement à tous ces hommes célebres, il n’en est pas de plus curieux, et de plus digne d’être conservé à la postérité, que ce qui est arrivé aux chefs-d’œuvre que la mort a contraint les grands artistes de laisser imparfaits ; témoin l’Iris d’Aristide, les Tyndarides de Nicomaque, la Médée de Timomaque et la Vénus d’Apelle, que nous avons observé causer plus d’admiration, étant ainsi tronqués, que s’il n’y restoit rien à désirer. Car, dans ces tableaux incomplets, on suit avec avidité les moindres vestiges des traits d’attente : on se plaît à conjecturer quel en étoit le terme projetté ; le regret même de la perte de l’artiste mort se met de la partie, et nous fait plus priser son travail. On gémit, et sur ce qui manque au tableau, et sur le malheur qu’ont eu les arts de perdre un homme célebre, avant qu’il n’eût achevé un si bel ouvrage.

, vol. 11, p. 243

Timanthe étoit un peintre plein de génie. C’est de lui cette Iphigénie[[3:Voyez Cicéron, in Orator. n°73 ; et Quintilien, liv. 2, ch. 13, p. 145. Valere Maxime détaille ainsi ce tableau, livre 8, chap. 11, p. 400 : Quid ille alter aeque nobilis pictor, luctuosum immolatae Iphigeniae sacrificium referens, cum Calchanta tristem, moestum Ulyssem, clamantem Ajacem, lamentantem Menelaum, circa aram statuisset, caput Agamemnonis involvendo, nonne summi moeroris acerbitatem, arte exprimi non posse confessus est ?]] tant célébrée par les orateurs. Timanthe ayant représenté cette jeune princesse debout devant l’autel, au moment d’être immolée, et ayant épuisé toutes les variétés de l’art pour peindre la tristesse de chacun des assistants, principalement celle de Menelas, oncle d’Iphigénie ; il voilà le visage d’Agamemnon, ne trouvant pas possible d’exprimer dans ses traits ce qui se passoit en ce moment dans le cœur d’un pere. On cite beaucoup d’autres exemples qui prouvent combien il étoit ingénieux ; témoin le petit tableau ou il avoit peint Polyphene endormi ; car voulant faire connoître que c’étoit un géant, il imagina de peindre, à côté, de petits satyres mesurant avec un thyrse le pouce de ce cyclope. Le caractere de tous ses ouvrages est de donner à entendre plus qu’il ne peint ; et de ne pas présenter seulement une peinture accomplie, mais encore un génie supérieur à cette peinture même.

(vol. 11), p. 283-285

Timomaque de Byzance florissoit sous Jules César. Il fit l’Ajax et la Médée,[[3:Ausone, Epigr. 121, d’après l’Epigramme grecque d’Antiphile, Anthol. liv. 4, chap. 9 :

Medeam vellet cùm pingere Timomachi mens

Volventem in natos crudum animo facinus :

Immanem exhausit rerum in diversa laborem,

Fingeret affectum matris ut ambiguum

Ira subest lacrymis : miseratio non caret ira :

Alterutrum videas ut sit in alterutro.

Cunctantem fatis est : nam digna est sanguine mater

Natorum ; tua non dextera, Timomache.

On trouve aussi dans l’Anthologie, ibid., cette Epigramme sur l’Ajax du même artiste :

Αἶαν, Τιμομάχου πλέον ἢ πατρός, ἥρπασε τέχνα

τὴν φύσιν· ὁ γράψας εἶδε σε μαινόμενον,

καὶ συνελυσσήθη χεὶρ ἀνέρι, καὶ τὰ κεραστὰ

δάκρυα τοὺς λύπης πάντας ἔμιξε πόνους., etc.

Ajax Timomachi magis es, quàm patris: in arte

Natura est: rabiem viderat ille tuam.

Cumque viro furiata simul manus omne doloris

Ingenium trucibus miscuit in lacrymis.]] que ce dictateur plaça dans le temple de Vénus Genitrix. Ces deux tableaux furent vendus quatre-vingts talents attiques[[3:192000 livres, monnoie de France.]], de six mille deniers chacun[[3:2400 liv. monnoie de France.]], au calcul de Varron.

(vol. 11), p. 235

Il fit aussi une Pénelope, où les mœurs pudiques[[3:Ainsi, il remplit le vœu que fait Martial, liv. 10, Epigr. 32 : Ars utinam mores, animumque effingere posset ! / Pulchrior in terris nulla tabella foret.]] de cette princesse respirent. A l’égard de son athlete, il est célebre par ce vers, qu’il composa et écrivit au dessous du tableau :

   Moins[[3:Ce vers est ainsi rapporté en grec par Plutarque, de glor. Athen., p. 346 : « μωμήσεταί τις μᾶλλον ἢ μιμήσεται. » / Facilius haec culpabit quis, quam imitabitur. Et attribué, non à Zeuxis, mais au peintre Apollodore, dont on a parlé plus haut.]] aisément peut-on l’imiter, qu’en médire.

Tant il se complut à cette production.

, vol. 11, p. 237

On raconte que Parrhasius entra en lutte avec Zeuxis ; que celui-ci exposa dans cette lutte un tableau représentant des grappes de raisin, peintes tellement au naturel, que les oiseaux venoient les becqueter sur l’échaffaud ; que de son côté Parrhasius produisit un tableau représentant une toile avec tant de vérité ; que Zeuxis, tout orgueilleux du succès de ses grappes, et du suffrage des oiseaux, demanda avec instance qu’on levât enfin cette toile pour voir ce qui étoit dessous ; et qu’ayant reconnu son erreur, il s’avoua ingénuement vaincu, d’autant qu’il n’avoit trompé que les oiseaux, et que Parrhasius avoit trompé un artiste tel que Zeuxis. On dit qu’ensuite[[3:Voyez Séneque, in Controv. 34, liv. 5.]] Zeuxis peignit un enfant portant des grappes de raisin, lesquelles un oiseau vint pour becqueter ; et qu’à cette vue il fit avec même ingénuité le procès à son ouvrage. J’ai mieux peint les grappes que l’enfant, s’écria-t-il ; car si j’eusse bien consommé celui-ci, l’oiseau auroit craint d’en approcher.

, vol. 11, p. 235-237

Au surplus, il étoit d’une exactitude admirable dans l’imitation du vrai : et pour qu’on ne doute point de cette exactitude, j’observerai, à l’égard de sa Junon Lacinienne[[3:Il est fait mention de l’autel de Junon Lacinienne au l. 2, ch. 107.]], dédiée par les Agrigentins au temple de cette déesse, qu’avant d’y travailler, il obtint, de voir leurs filles nues, parmi lesquelles il en choisit cinq[[3:Selon Cicéron, de Invent. l. 2, n°1, Zeuxis fit les mêmes conditions avec les Crotoniates, pour l’Hélene qu’ils dédierent dans ce même temple de Junon.]], pour en extraire et rassembler dans sa Junon ce qu’il jugea de plus beau en chacune.

, vol. 11, p. 235

Les richesses qu’il acquit furent telles que, pour en faire parade à Olypie, il fit broder son nom en or sur ses manteaux. Par la suite il peignit gratuitement, donnant pour raison de ce procédé, que nulle somme ne pouvoit payer ses ouvrages. C’est ainsi qu’il fit présent d’une Alcmene aux Agrigentins[[3:Il fit au contraire payer fort chez son Hélene aux Crotoniates, selon Cicéron, de Invent. n°1.]], et d’un dieu Pan au roi Archelaüs[[3:Roi de Macédoine, antérieur d’environ soixante cinq ans à Alexandre le Grand.]].

, vol. 11, p. 255

ce chef-d’œuvre lui valut vingt talents attiques[[3:48000, monnoie de France.]] ; car lorsqu’il s’agit de l’estimer, on ne le prisa aucune somme déterminée : mais il fut réglé que ce bel ouvrage seroit couvert d’une coucher de pieces d’or, tant que l’aire du tableau en pourroit contenir.

, vol. 11, p. 259

Apelle eut pour contemporain Aristide[[3:Voyez Athénée, l. 13, p. 567.]] de Thebes. Celui-ci est le premier qui ait peint l’ame, les passions, les diverses affections ; en un mot, l’homme moral, ce que les Grecs expriment d’un nom général Ethê, c’est-à-dire le moral, les mœurs : il essaya et réussit le premier à rendre les perturbation de l’ame dans les grandes crises. On lui reproche un peu trop de dureté dans ses couleurs. C’est de lui ce beau tableau représentant pour local une ville prise d’assaut, et pour sujet une mere blessée et mourante ; à côté d’elle son enfant qui rampe et se traîne vers sa mamelle. Le peintre a exprimé la crainte qu’a cette mere que le nourrisson ne suce du sang, au défaut du lait supprimé par le frisson de la mort. Alexandre le Grand, après la prise de Thebes, fit transporter ce tableau à Pella sa patrie.